Peut-on devenir accro à la chirurgie et à la médecine esthétique ?
L’idée peut faire sourire. Pourtant, l’addiction à la chirurgie esthétique ou aux injections est une réalité, parfois difficile à déceler. Elle ne touche pas tout le monde, bien sûr. Mais elle existe, et je la croise régulièrement dans ma pratique.
Cette forme de spirale, où l’on en vient à vouloir toujours plus, toujours mieux, quitte à perdre de vue l’objectif initial : retrouver de l’harmonie, se sentir mieux dans sa peau, ou corriger un complexe réel.

Quand l’esthétique devient compulsive
Il y a des demandes saines, réfléchies, qui s’inscrivent dans un projet global, avec un ou plusieurs actes bien ciblés. Et puis, il y a des demandes plus floues, plus fléchissantes, où chaque amélioration en appelle une autre.
Ce sont souvent de petits détails que seul le patient perçoit, et qui deviennent obsessionnels.
Ce n’est pas toujours une question de fréquence, mais plutôt de motivation : corrige-t-on un défaut réel, ou poursuit-on un idéal inaccessible ?
Je pense notamment à certaines injections dans les lèvres. Ce geste, pourtant simple et largement répandu, fait partie de ceux que je considère comme les plus à risque en termes d’addiction.
Pourquoi ? Parce qu’il repose sur une logique d’augmentation. On injecte, on aime le volume, on veut plus. Et souvent, l’œdème après injection vient renforcer ce biais : pendant quelques jours, les lèvres sont plus gonflées que prévu. Le résultat réel, plus naturel, apparaît après résorption de l’œdème.
Et c’est là que certaines patientes sont déçues. Ce qu’elles avaient fini par aimer, c’était en réalité un excès lié à l’injection et, surtout, provisoire.
Chirurgie esthétique, dysmorphophobie et réseaux sociaux
L’addiction à la médecine esthétique ne tombe pas du ciel. Elle s’inscrit souvent dans un contexte plus large, celui d’une insatisfaction chronique de l’image de soi, qui peut relever d’un trouble bien connu : la dysmorphophobie.
Se focaliser sur un détail insignifiant, vouloir le corriger à tout prix, et recommencer encore… Ce n’est pas un simple caprice, mais un mécanisme bien réel, souvent amplifié par la comparaison permanente induite par les réseaux sociaux.
Aujourd’hui, les demandes se sont radicalement transformées.
Il ne s’agit plus seulement de “corriger” un défaut, mais d’atteindre une forme de perfection perçue.
Je reçois régulièrement des patientes qui me montrent une photo filtrée en disant : “Je veux ça”. Un visage sans ombre, sans relief, des pommettes qui se fondent dans la paupière, des lèvres parfaitement dessinées…
Ce type de résultat est tout simplement inatteignable, ou alors au prix d’un visage totalement figé, artificiel, voire bizarre dans la réalité.
Ce sont les excès de la chirurgie esthétique que je refuse d’encourager.

Le rôle du chirurgien esthétique : dire non, poser un cadre
Dans ces situations, savoir dire non fait partie de mon métier. J’ai parfois des patientes qui viennent pour une énième injection, insatisfaites de tout, malgré des résultats objectifs harmonieux.
Certaines savent qu’elles vont trop loin, et me remercient quand je refuse !
D’autres sont déçues et vont chercher, j’imagine, ailleurs ce que je ne veux pas leur proposer.
Je suis convaincu que la chirurgie et la psychologie sont intimement liées. Il ne s’agit pas d’être thérapeute (ce n’est pas notre rôle), mais d’avoir suffisamment de recul pour poser un cadre clair.
Un acte esthétique n’est pas anodin : il a un impact immédiat sur l’image de soi, mais a aussi des conséquences sur le long terme, sur les tissus, l’expression du visage, l’équilibre général.
Un traitement esthétique ne doit pas devenir un réflexe
Si vous sentez que la médecine esthétique devient une habitude, un réflexe, un besoin de plus en plus pressant, posez-vous les bonnes questions :
- Pourquoi ai-je envie de cet acte maintenant ?
- Est-ce que je cherche à me sentir mieux, ou à me transformer (comme par exemple une canthopexie parce que je cède à la tendance fox eyes) ?
- Est-ce que je veux réparer un complexe, ou atteindre un idéal ?
- Et surtout : est-ce que je suis encore capable d’attendre, de faire une pause ?
Je pense que mon rôle, en tant que chirurgien, c’est d’accompagner. De proposer des solutions sur-mesure, mesurées, raisonnables, qui s’inscrivent dans une vision à long terme du bien-être.
Pas de céder à toutes les demandes, ni de jouer au sculpteur de visages parfaits.
Chirurgie & médecine esthétique : une quête sans fin, ou un projet réfléchi ?
L’addiction aux injections ou à la chirurgie esthétique n’est pas une fatalité. Ce n’est pas une question de faiblesse, ni de vanité. C’est souvent l’expression d’un mal-être plus profond, qu’il faut savoir écouter…et parfois freiner.
C’est pourquoi je continue de croire à une pratique exigeante, éthique, et profondément humaine.